1. La réalisation d'un réseau routier national (± 1700 - ± 1940)
Les Pays-Bas du sud sous le régime autrichien (1713-1794)
C'est une méprise de croire que le gouvernement autrichien ait été le grand preneur
d'initiative de la construction de chaussées au dix-huitième siècle. En faite, c'étaient les autorités
provinciales et locales qui eurent le plus de mérites, poussées par des besoins économiques concrets.
Ceci était sûrement le cas pendant la première moitié du siècle, lorsque le pouvoir central était tracassé par
des affaires politiques internationales et qu'il reprit un rôle modeste de conseil, de contrôle et de coordination
au sujet de l'infrastructure économique. Etant donné que le pouvoir central seul avait le droit de délivrer des
octrois (des autorisations) pour la construction de certaines routes, il avait également le pouvoir d'empêcher
leur construction - des nouvelles routes ne pouvaient par exemple pas suivre le cours d'une voie d'eau déjà
existante - ou d'influencer leur tracé. Le choix entre la construction d'une route ou d'un canal était généralement
pris à l'avantage de la première. Les chaussées qui furent réalisées sur l'initiative propre du pouvoir
central, surtout autour de Bruxelles, servaient en premier lieu seulement à fournir un accès aux bâtiments ou domaines
impériaux.
Coupe transversale d'une route du dix-huitième siècle. La largeur de la chaussée variait entre trois à six mètres,
selon l'importance de la liaison, l'intensité du trafic et les moyens financiers disponibles. La plupart du temps
elle était flanquée par une allée d'arbres et un fossé des deux côtés. Source: L. Genicot, 'Etudes sur la construction des
routes en Belgique'.
Après la Guerre de Succession d'Autriche (1740-1748) la politique mercantiliste du gouvernement
se laissa toujours plus sentir dans le domaine des travaux publics: le pouvoir commença a intervenir d'une manière
plus active dans les projets routiers régionaux et locaux. Il fonda (en 1760) un organe de contrôle financier, ainsi
qu'une administration centrale des routes (en 1775). Il va de soi que la construction des chaussées se déroula le
plus vite dans les régions prospères (la Flandre, le Hainaut et le Brabant). Les Etats du Hainaut pourvurent leur
territoire de liaisons de et vers les mines. En Flandre et au Brabant, la distribution rapide de produits agraires vers
les marchés locaux, ainsi que le sol sablonneux, rendirent nécessaire de paver les routes existantes et de construire
des nouvelles routes. Quelques chaussées purent être construites avec des octrois. Elles suivaient un tracé étonnamment
plus rectiligne que les nombreuses routes réalisées sans octrois. Comparez par exemple la route Deinze-Courtrai (N43),
construite avec octroi, avec la route Melle-Grammont (aujourd'hui N42), réalisée sans octroi.
La délivrance d'un octroi impliquait la possibilité d'exproprier et de percevoir un péage. Les expropriations
permettaient de suivre un tracé rectiligne; les péages assuraient la restitution partielle des montants alloués à la
construction, ce qui était au bénéfice de la qualité de la nouvelle route. L'initiative privé, enfin, provenait
d'industriels (ayant pour but la minimalisation des frais) et de propriétaires fonciers (pour optimaliser l'exploitation
de leur domaine, mais aussi pour stimuler de nouveaux défrichages).
Contribution de chaque province à l'ensemble des chaussées du dix-huitième siècle (km).
comté de Flandre
1141,0
duché de Brabant
502,7
comté de Hainaut
378,2
principauté de Liège
358,2
comté de Namur
181,2
duché de Luxembourg
155,0
Tournai et le Tournésis
80,9
duché de Limbourg
43,8
total
2841,0
Bien que les liaisons, principalement interurbaines, construites au dix-huitième siècle étaient
considérées par les contemporains comme un réseau d'une qualité excellente en comparaison avec les pays avoisinants,
il y avait certaines lacunes. Tout d'abord, la notion d'un 'réseau national' n'était pas encore entrée dans l'esprit
des gens; en effet, les routes furent réalisées en réponse à des besoins locaux ou régionaux. La situation de la
principauté de Liège qui divisait les Pays-Bas du sud en deux parties ne contribua pas à la construction
de routes de liaison ininterrompue, bien au contraire. Ensuite, aucune de ces chaussées n'atteignaient la frontière avec
les Provinces-Unies dans le nord, ce qui reflète l'orientation économique de nos régions au dix-huitième siècle.
Finalement, seulement les régions prospères (c'est à dire la Flandre, le Brabant et le Hainaut) participaient au
processus précédemment décrit. Les territoires pauvres, comme les Ardennes et la Campine, resteront encore longtemps
éloignés de bonnes voies de communications, ce qui limita le développement de ces régions.
Sans vouloir surestimer l'importance du réseau de chaussées au dix-huitième siècle, il est néanmoins
impossible de nier les conséquences favorables de la construction de celui-ci. La qualité des routes fit
chuter les coûts du transport. Le trafic marchant sur courte et moyenne distance commença dès lors à suivre
le tracé des chaussées, plutôt que celui des voies d'eau. Les routes ne contribuèrent pas seulement au développement
de certains secteurs comme l'agriculture ou l'industrie charbonnière, ils rendaient aussi possible une spécialisation
régionale et facilitèrent la naissance d'un marché 'national'.
Progrès de la construction des chaussées du dix-huitième siècle (km).
Développement du réseau de chaussées au Pays-Bas autrichiens. Cliquez sur l'image
pour agrandir la carte. Source: L. Genicot, 'Etudes sur la construction des routes en Belgique'.